Secouru par les sauveteurs de Goury, il témoigne

Le 25 octobre 2017, les équi­piers de la station de Goury-la-Hague ont porté secours à un skip­per dont le voilier s’était subi­te­ment retourné. Celui-ci a bien voulu nous faire le récit poignant de son aven­ture et de son sauve­tage (sur la photo aux côtés du président de la station).

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Par dessus bord !

Comment est-ce possible ? Plus que la peur, c’est une totale incom­pré­hen­sion et une sorte de fureur que je ressens.

Cela fait plus de quarante ans que je pratique la navi­ga­tion dans le Cap de la Hague, avec l’im­pres­sion de connaître tous ses récifs, ceux toujours émer­gés et ceux qui appa­raissent au grès des marées, les endroits où le courant est violent et ceux où j’ai le plus de chance d’at­tra­per un pois­son à la traîne ou un homard dans mon casier.

En une seconde, une vague, pas très grosse, un mètre tout au plus, s’est levée sur ma droite et a déferlé au mauvais moment, retour­nant mon Zodiac instan­ta­né­ment sans que le coup de barre initié ait le temps de faire virer mon bateau.

Je grimpe sur la coque retour­née et commence à analy­ser la situa­tion.

Mon métier de pilote de ligne m’a appris que, face à une situa­tion impré­vue, il ne faut surtout pas se préci­pi­ter. Avant d’agir, il faut lister les faits, les options, les risques asso­ciés puis prendre une déci­sion, l’exé­cu­ter et véri­fier régu­liè­re­ment que la déci­sion prise demeure compa­tible avec l’évo­lu­tion en temps réel de la situa­tion.

Nous appe­lons cela le FORDEC. Et, puisque tous les six mois je passe des heures dans un simu­la­teur de vol pour maîtri­ser l’exer­cice, je vais tenter de resti­tuer mon appren­tis­sage. Car, cette fois-ci, c’est du réel et j’ai bien conscience, qu’à l’is­sue de la séance, il n’y aura pas de débrie­fing ni d’ap­pré­cia­tion mais que le cours de mon exis­tence risque d’être impacté d’une façon assez radi­cale !

Aussi, je décide après analyse de ne surtout pas quit­ter mon bateau retourné pour tenter de rejoindre la côte à la nage. Le courant est puis­sant et, si j’at­tei­gnais le rivage, il n’y aurait que des roches battues par les vagues pour m’ac­cueillir et je risque­rais de me frac­tu­rer un membre. Je serais alors inca­pable de me mettre en sécu­rité.

Je récu­père mon ancre pour ne pas déri­ver vers le large où j’aperçois les défer­lantes et les marmites causées par le Raz Blan­chard. C’est un échec : la force du courant a raison de mon amarre et me voici emporté vers des rapides qui longent le Nez de Jobourg.

Je ne peux atteindre mes VHF qui sont rangées dans la console. Mon bateau filant au-dessus de récifs affleu­rant la surface de l’eau, j’es­time trop risqué de tenter une apnée sous celui-ci.

Pour ce qui est du télé­phone, il a rendu l’âme malgré sa pseudo étan­chéité. Il m’est donc impos­sible de contac­ter qui que ce soit. Moi qui adore navi­guer des heures dans cet endroit si sauvage, je trouve la côte du Cap de la Hague un peu trop déserte cette fois-là.

Après une quaran­taine de minutes de dérive tumul­tueuse entre les innom­brables « cailloux » qui bordent la côte, j’aperçois des prome­neurs sur le chemin doua­nier. J’agite au dessus de ma tête mon gilet de sauve­tage et, après de longues secondes, ils me font des signes de la main.

J’es­père alors qu’ils ont pris conscience de ma situa­tion, quelque peu incon­for­table. Cela peut sembler évident mais ces prome­neurs m’ont aperçu à peine une minute et à près de cent cinquante mètres du niveau de la mer. À cette distance et vu d’en haut, le côté pile d’un semi-rigide est très simi­laire du côté face !

Ma situa­tion se dégrade ensuite car le courant m’em­porte inexo­ra­ble­ment vers le large. Je commence à souf­frir d’hy­po­ther­mie et douter de mes chances de survie… On devrait peindre SOS sur la carène des bateaux !

Dans la direc­tion du port de Goury, il me semble aper­ce­voir un bateau. C’en est bien un et, à mon grand soula­ge­ment, il se dirige vers moi.

Quand je distingue qu’il est de couleur verte et orange, je réalise que, si je m’ac­croche encore un quart d’heure, je serai sauvé.

J’ai proba­ble­ment, comme toute personne navi­guant, éprouvé une grande admi­ra­tion pour les béné­voles de la SNSM et leur capa­cité à sortir les jours de tempête pour porter secours aux naufra­gés. Ce jour-là, j’ai été extrê­me­ment touché par les mots qu’ils m’ont dit. Alors que j’ex­pri­mais ma gêne du fait qu’ils aient eu à risquer leur vie pour me porter assis­tance, l’équi­page m’a immé­dia­te­ment demandé de cesser de présen­ter des excuses, m’ex­pliquant qu’eux aussi aimaient les sorties en mer, qu’ils igno­raient les causes de mon naufrage mais que ce qui impor­tait était de me réchauf­fer et me rame­ner mon bateau et moi au bord.

Ces phrases décul­pa­bi­li­santes et d’une très grande gentillesse m’ont ému et récon­forté. Je suis certain qu’elles m’ont aidé à digé­rer rapi­de­ment cette mésa­ven­ture et ainsi permis de repar­tir sur l’eau avec toujours le même plai­sir… et une VHF sur moi !

Je tiens à expri­mer ma plus sincère recon­nais­sance à toutes les personnes œuvrant pour la SNSM. Ils offrent aux usagers de la mer que nous sommes une incroyable sécu­rité. Sans leur dévoue­ment, nous n’au­rions plus cette récon­for­tante impres­sion d’avoir un ange gardien qui veille sur nous lorsque nous navi­guons.

Il nous faut les soute­nir, être prudent et avoir toujours sur soi un moyen de les appe­ler à l’aide.